La mort annoncée de la juridiction des mineurs

Le SNP est, avec de multiples autres organisations, signataire de l’Appel ci-dessous:

Dans l’indifférence générale, le gouvernement s’apprête à faire voter en procédure accélérée la disparition de la spécialisation de la justice des mineurs par la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs et par la mise à l’écart du juge des enfants du suivi des mineurs auteurs d’infractions.

 

Malgré les protestations unanimes des professionnels qui avaient abouti en 2008 à l’abandon du projet de code pénal des mineurs, malgré la censure le 10 mars 2011 par le Conseil Constitutionnel de la quasi totalité des dispositions de la LOPPSI 2 (Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure) concernant le droit pénal des mineurs, au mépris des principes constitutionnels et des engagements internationaux ratifiés par la France, tels que la Convention internationale des droits de l’enfant et les Règles minimales de Beijing, le gouvernement s’obstine à vouloir aligner le régime pénal des mineurs sur celui des majeurs.

 

L’objectif avoué de la réforme est de renforcer la répression de la délinquance des mineurs en entretenant l’illusion que la crainte d’une sanction plus forte suffirait, de façon magique, à dissuader des adolescents déstructurés d’un passage à l’acte.

Au contraire ces nouvelles dispositions vont affaiblir les moyens d’action éprouvés et efficaces de notre justice des mineurs.

Le reproche de lenteur régulièrement fait à la justice des mineurs découle de la confusion entretenue entre la nécessité de la réponse rapide à donner à un adolescent en dérive et celle d’un jugement à bref délai. La véritable urgence est celle de la mise en œuvre de solutions éducatives afin de prévenir la répétition d’actes délinquants.

 

L’intervention d’un juge des enfants prenant en compte les situations individuelles, («mon juge», disent les jeunes) et la réévaluation régulière des mesures éducatives en cours sont autrement plus pertinentes que l’empilement de peines sur un casier judiciaire dans des audiences surchargées tenues par un juge des enfants de permanence, sur la base de renseignements rassemblés à la hâte par un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse.

 

La justice des mineurs doit rester une justice de la continuité, menée par des professionnels-repères (juge des enfants, éducateur, avocat…) pour le mineur et prenant en compte son évolution et non une réponse ponctuelle au passage à l’acte.

Les tribunaux pour enfants doivent disposer des moyens et des structures pour pouvoir apporter une réponse rapide et individualisée. Ainsi, les services éducatifs (Protection Judiciaire de la Jeunesse, associations habilitées) doivent pouvoir proposer des prises en charge éducatives de nature différente (placement, milieu ouvert, insertion…).

 

A l’opposé de cette démarche, le projet fait quasiment disparaître le tribunal pour enfants où siègent au côté du juge des enfants deux assesseurs recrutés pour leur intérêt pour les questions de l’enfance; les voici congédiés au profit du tribunal correctionnel, augmenté dans certaines affaires d’assesseurs citoyens tirés au sort et où le juge des enfants servira d’alibi.

Etrange manière de faire participer la société au jugement de ses enfants, que de démanteler ainsi une justice de qualité où l’on s’efforce de donner la parole à tous, mineur, famille, victime, éducateur, procureur et défense et d’allier pédagogie et sanction.

 

Toujours plus rapide, toujours plus répressif: à l’instar des comparutions immédiates pour les majeurs, le procureur pourra renvoyer les mineurs en jugement dans le cadre de dispositions pratiquement identiques à celles qui viennent d’être censurées par le Conseil Constitutionnel, les conditions de peines encourues et d’âge étant tellement extensives qu’elles s’appliqueront à tous.

L’accélération effrénée des délais de traitement de procédure, l’injonction faite de trouver un « remède miracle» met les professionnels «au pied du mur» et conduit les mineurs «entre les murs» sans perspective de développement des lieux de placement alternatifs. 

 

Pourtant la multiplication des incidents ces dernières semaines dans les établissements pénitentiaires pour mineurs et l’augmentation de l’incarcération des mineurs démontrent l’impasse à laquelle conduit un traitement purement répressif de la délinquance juvénile et la priorité budgétaire absolue donnée depuis 2002 aux centres éducatifs fermés et aux établissements pénitentiaires pour mineurs.

On nous ressasse que «les jeunes d’aujourd’hui ne sont  plus ceux d’hier» sans oser expliciter s’il s’agit de la taille physique qui accélère la maturité ou des origines sociales de certains jeunes. Mais  les partisans de cette «majorité pénale» des jeunes de 16 ans ne proposent pas pour autant de leur attribuer les droits civils correspondants : droit de vote, permis de conduire..

 

Le projet en voie d’être adopté démontre surtout que «les adultes d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier» et n’ont plus le courage de construire un projet pour la jeunesse la plus fragile alors qu’il n’existe aucune politique de la jeunesse globale, cohérente et positive.

 

Refusons le jugement de nos enfants par le tribunal des adultes.

 

Premiers signataires :

Claire BRISSET, Ancienne Défenseure des Enfants

Dominique ATTIAS, avocate au barreau de Paris membre de l’antenne des mineurs

Pierre JOXE, avocat au barreau de Paris membre de l’antenne des mineurs

Henry NALLET, Garde des Sceaux de 1990 à 1992

Yves DOUCHIN, Directeur Régional honoraire de la PJJ

Jacques HINTZY, Président d’UNICEF France

Serge PORTELLI  Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Paris

Dominique VERSINI Ancienne Défenseur des Enfants, ancienne secrétaire d’état chargée de la lutte contre l’exclusion et la précarité 2002-2004

Maryse VAILLANT psychologue clinicienne

Roland GORI, Professeur émérite, psychanalyste, initiateur de l’Appel des Appels

Jean Jacques YVOREL, Historien

Henri LECLERC Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme

Michel CHAUVIERE, directeur de recherche au CNRS

Michèle BECQUEMIN, sociologue, Université de Paris Est-Créteil

Alain BRUEL, ancien juge des enfants

Christophe DAADOUCHE, formateur

Hélène FRANCO, magistrate

Jean Luc RONGE, vice-président de DEI Europe (Défense des Enfants International)

Corinne LEPAGE, avocate, ancienne ministre

Claude LOUZOUN, Collectif Non à la Politique de la Peur, Union Syndicale de la Psychiatrie

Catherine SULTAN Présidente de l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse

Michelle PERROT, professeur émérite d’université, historienne

Laurent MUCCHIELLI, sociologue, chercheur au CNRS

Jacques BOURQUIN, éducateur, historien

Odile BARAL, magistrate, ancienne Juge des Enfants, Secrétaire Nationale du Syndicat de la Magistrature

Maria INES éducatrice, Secrétaire Nationale du SNPES-PJJ-FSU

Pascale TAELMAN, avocate, Présidente du Syndicat des Avocats de France

Alain DRU, éducateur, Secrétaire National de la CGT-PJJ

Patrice CHOLLIER, éducateur, secrétaire fédéral CFDT-PJJ

Jean Pierre ROSENCZVEIG, Juge des Enfants, Président de DEI France

Jacques Borgy, Secrétaire général du Syndicat National des Psychologues (SNP)

Martine Ravineau, Secrétaire de la commission PJJ du SNP

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