« Construire ensemble une place pour tous les jeunes » Une mission rendue impossible ?(1)

TRACE, contrat d’autonomie, CIVIS, PPAE, EAV, les dispositifs à durée déterminée non seulement se succèdent mais désormais s’empilent. Les procédures se complexifient, le travail administratif explose. Les principes gestionnaires prennent toute la place sans tenir compte des réalités du terrain. Il y aura bientôt plus de temps à rendre compte qu’à faire, et plus aucun temps pour penser.

Les équipes sont surchargées, sous pression. Le tournant que prennent les missions locales, soumises aux exigences gestionnaires, est source d’une perte de sens dans les pratiques professionnelles et crée de la souffrance au travail. Comment veiller à un accompagnement de qualité lorsqu’il devient essentiel de privilégier le mesurable, le quantifiable, le comptable ?

Rares sont les jeunes qui arrivent à la mission locale avec une demande claire, objective, tenant compte de leur situation et du contexte socio-économique. Si le temps à prendre avec les jeunes devient négligé et négligeable, c’en est fini des missions locales comme lieu pour dire ses questions, ses difficultés, pour articuler quelque chose de son intimité aux écueils du social, et relancer sa capacité de penser et d’agir. Quand les professionnels sont soumis à des impératifs de chiffre, il n’y a plus d’espace pour accueillir les jeunes, entendre l’énoncé des difficultés qui font obstacle à leur insertion. Le discours sur l’« approche globale » n’est-il devenu qu’un effet de communication ?

La légitimité de notre action est fondée sur les principes sur lesquels s’engagent les partenaires dans toute mission locale : une volonté de travailler ensemble sur un territoire, une intervention globale au service des jeunes, un espace d’initiative et d’innovation, une démarche pour construire des politiques locales d’insertion et de développement. (2)Fortes de leur identité professionnelle, les équipes essaient de préserver quotidiennement les conditions de leur exercice mises à mal par des impératifs comptables.

Nous, psychologues travaillant en mission locale, nous refusons de faire l’impasse sur une collaboration étroite avec l’ensemble des membres de l’équipe. Nous intervenons dans les interstices de ce qui ne peut se dire, sur les bégaiements de l’élaboration d’un projet professionnel et de vie, sur les conditions de sa possible mise en œuvre.

Dans le contexte actuel, nous nous inquiétons du devenir de ce nécessaire travail avec et autour des jeunes. Nous dénonçons l’impact et les effets des « nouvelles formes de gouvernance »sur le travail commun, indispensable appui à l’insertion des jeunes. Mettre de côté les difficultés psychologiques et les souffrances psychiques de jeunes qui s’adressent aux missions locales aura pour effet de laisser nombre d’entre eux sur le bord du chemin. Ils porteront le poids de l’impossible réduction du sujet en contrats d’objectifs et moyens d’évaluation.

S’il faut persister ainsi aveuglément à prescrire, comptabiliser, remplir des objectifs et répondre aux injonctions de placement, nous participerons à l’exclusion de beaucoup de ceux qui venaient nous demander de les aider à construire leur place.


1.Charte des Missions Locales, Conseil National des Missions Locales, 12/12/1990

2.idem

 

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